Du fait divers au texte littéraire (2nde)
Par Vimond Régine (Lycée Millet, Cherbourg 50) le samedi, mars 28 2020, 17:33 - Français 2019-2020 : 2nde et 1ère - Lien permanent
Objet d'étude : la littérature d’idées et la presse du XIXème au XXIème siècle
Problématiques : Comment la littérature d’idées a-t-elle questionné le crime ? Comment les écrivains se sont-ils engagés pour rendre la société meilleure ?
Textes :
1- Colette, "Voici Landru ! », chronique judiciaire du journal Le matin, 8 novembre 1921
2- Marguerite Duras, "Christine V., sublime, forcément sublime", tribune parue dans le journal Libération (17 juillet 1985)
3 - Jean Giono, Notes sur l'affaire Dominici (1955)
4 - Emmanuel Carrère, L'adversaire (2000)
Texte 1 : Colette, « Voici Landru ! », chronique judiciaire du journal Le matin, 8 novembre1921
Pour en savoir plus sur Colette :
La foule n'émettra jamais d'opinion unanime sur Landru. L'homme aux cinquante noms, l'homme aux deux cent quatre-vingt-trois aventures féminines, même, sans bouger, et avant qu'il ait parlé, est déjà Protée1.
Séduisant, ce séducteur ? Correct, certainement. Faunesque2, verlainien3 comme on l'a décrit ? Non. Ni génial, ni difforme. […]
Je cherche en vain, dans cet œil profondément enchâssé, une cruauté humaine, car il n'est point humain. C'est l'œil de l'oiseau, son brillant particulier, sa longue fixité, quand Landru regarde droit devant lui. Mais s'il abaisse à demi ses paupières, le regard prend cette langueur4, ce dédain insondable qu'on voit au fauve encagé.
Je cherche encore, sous les traits de cette tête régulière, le monstre, et ne l'y trouve pas.
Si ce visage effraie, c'est qu'il a l'air, osseux mais normal, d'imiter parfaitement l'humanité, comme ces mannequins immobiles qui présentent les vêtements d'homme, aux vitrines.
A-t-il tué ? N'a-t-il pas tué ? Nous ne sommes pas près de le savoir. Il écoute, il paraît écouter l'interminable acte d'accusation, débité sur un ton de messe triste, […]
« Sinistre fiancé… Spoliée et assassinée… Le meurtrier de Madame Guilin ». Landru prend des notes, attentif et lointain tout ensemble, ou promène sur la salle, sans bravade5, le regard qui fit amoureuses tant de victimes. »
Colette, « Voici Landru ! », chronique judiciaire du journal Le matin, 8 novembre 1921
1. Divinité marine de la mythologie grecque ayant la faculté de se métamorphoser à volonté.
2. Se dit d’une créature mythologique proche du satyre.
3. Landru ressemble physiquement au poète Paul Verlaine.
4. Mélancolie rêveuse.
5. Attitude de défi.
1) Complétez cette présentation de l’écrivain Colette :
(1873 - _______________) Colette est l’une des écrivaines majeures du XXème siècle, connue surtout comme r____________________________. Elle est aussi mime, actrice, et j_______________________. Auteur de Ch_________, D_______________ de b__________________, elle renouvelle le genre autobiographique avec S________. |
2) Recherchez qui était Landru : quels crimes a-t-il commis ? Quand ?
3) Quel est l’intérêt pour un écrivain de faire le portrait d’un assassin ?
4) Relevez toutes les comparaisons utilisées par Colette pour décrire Landru.
5) Comment l’auteur perçoit-elle le personnage ?
6) Pour quelles raisons peut-on dire que cette description est ambiguë ?
7) Quels sont les éléments dans le style de Colette (références littéraires, figures de style, temps, pronoms, etc.) dont vous pourriez vous inspirer pour écrire votre plaidoirie ?
Landru et son défenseur, maître de Moro Giaferi à la cour d’assises de Versailles, pendant le procès.
8) Quel est le rôle de cette photographie ?
Texte 2 - Marguerite Duras : « Christine V., sublime, forcément sublime »
- Pour comprendre le contexte, regardez cette vidéo (15 mn) :
1) En quelle année Duras a-t-elle reçu le prix Goncourt ? Pour quelle œuvre ?
2) Présentez Eric Favereau et Serge July.
3) Pourquoi Serge July a-t-il été soulagé d’apprendre la veille de la publication de l’article que Christine Villemin avait été innocentée ?
4) Quel accueil recevra l’article de Duras ?
En 1984, le petit Grégory Villemin est retrouvé mort dans une rivière. L’écrivain Marguerite Duras est envoyée sur place par le journal Libération pour couvrir l’affaire. La mère de l’enfant vient d’être inculpée et refuse de recevoir la romancière. À la demande de Serge July pour Libération, le mercredi 17 juillet 1985, moins d’un an après le Goncourt que Marguerite Duras a reçu pour L’Amant, paraît sur trois pages l’article suivant : « Marguerite Duras : sublime, forcément sublime Christine V. »
Si vous voulez écouter toute la tribune dite par une actrice, c’est ici :
La maison, je l’ai vue. Eric Favereau1 n'arrivait pas à trouver le chemin. C’est au gré des tours et des détours qu’elle nous est apparue, tout à coup. Seule sur le sommet d’une colline nue. Dès que je vois la maison, je crie que le crime a existé. C’est ce que je crois. C’est au-delà de la raison. Il fait une pluie légère que le vent rabat sur les portes et les fenêtres fermées comme le jour du crime. La maison est neuve. Elle est à vendre. C’est le chalet vosgien, aux toits de pentes inégales. Tout autour, des collines vides, des chemins déserts, en bas, les sapinières très sombres... Entre les sapinières, la rivière. Le soir, nous parlons du crime, nous en parlons tout le temps, pendant quarante-huit heures. Là, j’essaye de savoir pourquoi j'ai crié quand j’ai vu la maison. Je n’arrive pas à le savoir. Je rentre à Paris le lendemain. Je téléphone à S.July2, je lui dis que je ne ferai pas d’article. Et puis à deux heures du matin je commence à l’écrire. Je l’ai repris ce matin-là après un téléphone qui m’annonce que Christine V. est arrêtée. L’enfant a dû être tué à l’intérieur de la maison. Ensuite il a dû être noyé. C’est ce que je vois. C’est au-delà de la raison. Je vois ce crime sans juger de cette justice qui s’exerce à son propos. […] Personne n’a vu l’enfant jouer devant la maison. La fermière qui est la première voisine n’a pas vu l'enfant ce soir-là, alors qu’elle le voyait tous les soirs lorsqu’elle ramenait ses vaches à l’étable. D’ailleurs, ce tas de sable pour jouer, il n’existe pas. C’est un tas de gravier, mélangé à du ciment et du sable. Ca ne tient pas la forme, on ne peut pas jouer avec ça. La pelle qu’on a plantée dans le tas de gravier, je la vois comme un mensonge ou une erreur. Pour faire croire seulement. Un journaliste, un photographe ou un criminel. Le père avait fait poser sur les murs de la chambre de cet enfant un papier peint représentant des rallyes de motos. Il avait aussi acheté une petite moto pour se promener avec lui, pour lui apprendre. C’était les motos que cet enfant aimait, les gros engins de course, rapides. Il n'avait que faire de jouer autrement. L’enfant, oui, je ne peux pas m’empêcher de le croire, tout à coup, quelque soit le tueur, il a dû être tué dans la maison. On a fermé les volets pour ça. C’est ensuite qu'on est allé le noyer dans la rivière. On l’a tué ici, sans doute, dans la douceur, ou bien dans un amour soudain, incommensurable, devenu fou, d’avoir à le faire. De la rivière il n'est parti aucune plainte, aucun cri, personne n’a entendu d’enfant, quand on l’y a mis il était déjà mort. Tribune parue dans le journal Libération (17 juillet 1985) |
1. Journaliste
2. Directeur du journal Libération.
1) Qu’est-ce qu’une tribune dans un journal ?
2) Marguerite Duras imagine dans cet article Christine Villemin comme meurtrière de son fils. Montrez qu’elle ne s’appuie sur aucune preuve concrète.
3) Christine Villemin a porté plainte à la suite de la publication de cette tribune. Que pensez-vous de cette démarche ? Qu’auriez-vous fait à sa place ?
4) Un écrivain est-il nécessairement un bon journaliste ? Répondez de façon argumentée.
5) Quels éléments du texte nous montrent que M. Duras est romancière avant tout ?
Texte 3 – Jean Giono : Notes sur l’affaire Dominici
Portrait de Jean Giono par Eugène Martel (1937)
I. Le contexte
Regardez les deux courtes vidéos suivantes puis résumez l’affaire Dominici et comparez ces deux vidéos.
https://fresques.ina.fr/reperes-mediterraneens/fiche-media/Repmed00605/l-affaire-dominici.html
(Facultatif) Si vous voulez en savoir plus sur cette affaire qui a défrayé la chronique :
I. Le texte
Les mots. Nous sommes dans un procès de mots. Pour accuser, ici, il n’y a que des mots ; l’interprétation de mots placés les uns à côté des autres dans un certain ordre. Pour défendre également. Dès la première suspension d’audience, je dis à l’Avocat général Rozan ce que j’ai compris tout de suite (qu’il a compris aussi) : nous sommes dans un total malentendu de syntaxe. […] Exemple (à la reprise d’audience, tout de suite après ma remarque): LE PRÉSIDENT, s’adressant à l’Accusé. — Êtes-vous allé au pont? (Il s’agit du pont du chemin de fer.) L’ACCUSÉ. — Allée ? Il n’y a pas d’allée, je le sais, j’y suis été. Pour lui qui n’emploie jamais le verbe aller, pour dire : aller au pont, aller à la vigne, aller à la ville, il croit qu’il s’agit de substantifs : une allée, une allée d’arbres, une allée de vignes ; et il répond : il n’y a pas d’allée, je le sais, j’y suis été. Or, comme il est surpris par la phrase du Président (combien anodine cependant, et j’ajoute que le Président ne pouvait pas s’exprimer autrement — moi-même si j’avais eu à formuler la question, je l’aurais faite de la même façon que lui) — comme il est surpris par la forme de la phrase, qu’il y a un mot qu’il ne comprend pas tout de suite, il hésite avant de répondre, il se trouble. On interprète ce trouble. Entendons-nous : ce n’est pas de là que surgira une erreur judiciaire. Nous verrons cependant plus loin qu’en déplaçant un petit pronom, ou en mettant au pluriel ce qui est au singulier, on anéantit complètement une phrase accusatrice et terrible. Jean Giono, Notes sur l’affaire Dominici (1955)
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1) Complétez cette biographie de Jean Giono :
https://www.espacefrancais.com/jean-giono/
Jean Giono est né en ______ d’un père qui exerçait le métier de _________________ Il est originaire de la région de la ____________________ Il a participé à la ________________ guerre mondiale etest devenu par la suite p ________________ Il évoquera cette expérience traumatisante de la guerre dans le roman le____________________________Jusqu’en 1929, il exerce le métier d’_____________________ En 1929, il publie le roman C_____________, puis en 1930 R____________________. Certains de ces romans sont adaptés au cinéma par M _______________ P _______________________ A la libération, il passe 5 mois en _______________________ , car _____________________________ Il publie après la 2nde guerre mondiale des romans comme Un h_________________ sur ______________________ et Un __ sans d_________________________. Il est élu à ____________________________ en 1954. Il meurt en ________________
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2) Pourquoi Giono semble-t-il remettre en question la culpabilité de Dominici ?
3) Pourquoi Dominici a-t-il été néanmoins condamné ?
4) Quels éléments nous montrent que Giono écrit davantage comme un romancier que comme un journaliste ?
5) Quelle est la critique formulée contre la justice par Giono ?
Texte 4 – Emmanuel Carrère : L’adversaire
Ce passage se rapporte au procès de Jean-Claude Romand, auquel a assisté l’auteur.
Pour en savoir plus sur cette affaire :
On allait en finir avec l'enfance de l'accusé quand Me Abad, son avocat, lui a demandé : « Quand vous aviez des joies ou des peines, alors, est-ce que votre confident n'était pas votre chien ? » Il a ouvert la bouche. On attendait une réponse banale, prononcée sur ce ton à la fois raisonnable et plaintif auquel on commençait à s'habituer, mais rien n'est sorti. Il a vacillé1. Il s'est mis à trembler doucement, puis fort, de tous ses membres, et une sorte de fredon2 égaré s'est échappé de sa bouche. Même la mère de Florence a tourné le regard dans sa direction. Alors il s'est jeté à terre en poussant un gémissement à glacer le sang. On a entendu sa tête frapper le plancher, on a vu ses jambes battre l'air au-dessus du box. Les gendarmes qui l'entouraient ont fait ce qu'ils ont pu pour maîtriser sa grande carcasse agitée de convulsions, puis l'ont emmené, toujours tressautant et gémissant. Je viens d'écrire : « à glacer le sang ». J'ai compris ce jour-là quelle vérité recouvrent d'autres expressions toutes faites : c'est vraiment « un silence de mort » qui s'est abattu après sa sortie, jusqu'à ce que la présidente, d'une voix mal assurée, déclare l'audience suspendue pour une heure. Les gens n'ont commencé à parler, à essayer d'interpréter ce qui venait de se passer qu'une fois hors de la salle. Les uns voyaient dans cette crise un signe d'émotion bienvenu, tant il avait jusqu'alors paru détaché. Les autres jugeaient monstrueux que cette émotion, chez un homme qui avait tué ses enfants, se manifeste à propos d'un chien. Certains se demandaient s'il simulait. J'avais en principe arrêté de fumer mais j'ai tapé une cigarette à un vieux dessinateur de presse qui portait barbe blanche et catogan3. « Vous avez compris, m'a-t-il demandé, ce que son avocat est en train d'essayer ? » Je n'avais pas compris. « Il veut le faire craquer. Il se rend compte que ça manque de tripes, que le public le trouve froid, alors il veut qu'on voie le défaut de la cuirasse. Mais il ne se rend pas compte, c'est horriblement dangereux de faire ça. Je peux vous le dire, il y a quarante ans que je trimballe mon carton à dessin dans tous les tribunaux de France, j'ai l'œil. Ce type est un très grand malade, les psychiatres sont fous de l'avoir laissé passer en jugement. Il se contrôle, il contrôle tout, c'est comme ça qu'il tient debout, mais si on se met à le titiller là où il ne peut plus contrôler, il va se fissurer devant tout le monde et je vous assure, ça va être épouvantable. On croit que c'est un homme qu'on a devant nous, mais en fait ça n'est plus un homme, ça fait longtemps que ça n'est plus un homme. C'est comme un trou noir, et vous allez voir, ça va nous sauter à la gueule. Les gens ne savent pas ce que c'est, la folie. C'est terrible. C'est ce qu'il y a de plus terrible au monde. » Je hochais la tête. Je pensais à La Classe de neige4, qu'il m'avait dit être le récit exact de son enfance. Je pensais au grand vide blanc qui s'était petit à petit creusé à l'intérieur de lui jusqu'à ce qu'il ne reste plus que cette apparence d'homme en noir, ce gouffre d'où s'échappait le courant d'air glacial qui hérissait l'échine du vieux dessinateur.
Emmanuel Carrère, L’adversaire (2000)
1. Il a failli perdre l’équilibre.
2. Air chanté à mi-voix sans articuler de paroles.
3. Petite queue de cheval (coiffure masculine)
4. Ce roman a été écrit pendant la période où Emmanuel Carrère ne parvenait plus à poursuivre son récit sur l’affaire Romand.
Si vous voulez lire ce roman, c'est ici :
1) Complétez cette biographie d’Emmanuel Carrère :
Emmanuel Carrère commence sa carrière comme critique de ___________ dans des revues, avant de publier des r_________, des e___________, des récits et des re_________ littéraires. Il est également sc_____________ et ré______________. Après L’Adversaire, qui a connu un immense succès critique et public, son œuvre se tourne de plus en plus vers la littérature non fictionnelle, des récits où l’a____________________ se mêle à la b_______________________.
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2) Quel événement imprévu ce passage relate-t-il ?
3) Relevez tous les termes (fonctions, lieux, verbes…) qui situent cet extrait dans un tribunal, lors d’un procès.
4) En quoi ce texte s’apparente-t-il cependant à un spectacle ? Quel autre texte lu dans l’année cet extrait vous rappelle-t-il ? Justifiez votre réponse.
5) Selon le dessinateur, quel était le but de la question de l’avocat ? Sa stratégie a-t-elle réussi ? Que pense le dessinateur de l’accusé ? Quel est le niveau de langue utilisé dans ce passage ? Pourquoi, d’après vous ?
6) Relevez et expliquez les métaphores de la fin du texte. Comment les comprenez-vous ? Quelle est donc la « monstruosité » de Jean-Claude Romand ?